jeudi 23 août 2012

Journée presque type à Conakry (1/2)

Vue aérienne du centre ville de Conakry

Depuis que je suis arrivé, il se produit une moultitude de faits divers, anecdotes, d’aspects de vie très spécifiques à L’Afrique. J’ai gardé tout ça dans un coin et je me suis dit que la meilleure façon de mettre en forme ces petits bouts de récit tout à fait véridiques serait de les inclure dans une journée tout à fait factice. Voici donc le récit d’une journée à Conakry, avec un condensé de ce qui peut arriver à un expatrié moitié Français moitié Polonais.


Je me réveille à 6h30 et j’ai super froid bordel. Je me suis fait encore avoir par la clim’. La température environnante peut changer très vite pendant la nuit, et il faut arriver à régler la clim’ pour que ce soit sec au coucher, mais à bonne température pendant la nuit. Ce matin c’est l’échec. Je vais voir dehors, il pleut des seaux d’eau et la mer est agitée. Ma résidence est bâtie au bord de mer, littéralement. C’est tellement littéral qu’à marée haute le mur de la cour se transforme en digue. 

Ma résidence ne résistera pas à la montée des eaux...

Ce matin les vagues sont fortes et tapent contre ce mur, provoquant des retombées sous ma fenêtre : Ce sont les déchets de Conakry, que les canaux de la villle déversent habilement dans l’océan Atlantique. Cette fraîcheur matinale aux subtils accents de poubelle me revigore et après un super instant toilette je monte prendre le petit déjeuner. Tout le bâtiment est géré par une société de catering (style Sodexho) et la nourriture répond à des exigences strictes et des standards élevés. J’ai le droit à mes crêpes tout juste préparées tous les matins, je suis prêt à parier que c’est la meilleure crêperie de Conakry. La nourriture ne doit absolument pas sortir de la salle à manger ni être resservie le lendemain. Du coup, tout ce qui n’est pas consommé est jeté, sans tellement de considération pour les éventuelles personnes qui ont faim, ou qui ne savent pas vraiment à quoi ressemble un crêpe. Je ne suis même pas sûr que les cuisiniers ont le droit d’y toucher. Une petite pensée pour la faim en Afrique ? Non ? Bon ba tant pis on fera ça une autre fois. Je prends en sortant quelques bananes pour les gardes de sécurité de la résidence, on n’a jamais trop d’amis.

Je vais au travail, il est 7h50. Le garde de ma résidence est de bonne humeur. Il m’interpelle moi et ma collègue :

"Vous êtes jeunes et vous travaillez, vous savez moi ça me fait plaisir ! Et sinon depuis que vous êtes ici, vous avez trouvé des filles et des garçons ? Vous savez, c’est bien les hommes noirs et les femmes noires !

Moi : - Non, pas encore

Lui : - Eh ben attends jeune homme, moi je vais t’en trouver ! Toi aussi, je vais te trouver un homme ici !

Ma collègue : -Mais moi j’ai un copain !

- Mais … il est noir ?

- Non

- Eh bien je vais te convertir ! Tu vas voir je vais te trouver quelqu’un !"

Nous le saluons et nous continuons notre route. La pluie de la nuit a transformé les 100m qui nous séparent des bureaux en lac instantané. Cela arrive tous les 3 jours. Moi, j’ai proposé d’installer une tyrolienne entre la résidence et les bureaux mais personne n’est réceptif à cette idée. A la place, nous allons devoir effectuer ces 100m en voiture. Un 4x4 RioTinto nous fait ce superbe transport de 10 secondes, sous les yeux amusés des enfants qui s’amusent à proximité.

Je m’installe à mon bureau, juste avant 8h. Je prends bien soin de saluer tous mes collègues d’une bonne poignée de main ferme et honnête. Ce rituel est sacré, et le « bonjour » français est remplacé par un « bonjour, ça va ? » avec en général un bonus, soit un « la famille ça va ? » ou un « le jeûne, ça va ? » (c’est un bonus spécial ramadan, utilisation à durée limitée). Mon quotidien au travail n’est pas très intéressant, il se comporte de coups de fils, de plans de construction, de cafés (Une machine Nespresso, très propice pour les expats), je fais des Outlooks, des internets (lents) et des double-clics sur des fichiers pdf. Tout est assez speed mais ça passe bien, et dans la bonne humeur bien sûr. 

Il est midi, j’ai faim et nous nous préparons à aller manger. Mon seul moyen de déplacement à Conakry : la voiture RioTinto (plusieurs voitures avec chauffeurs sont mises à disposition tout au long de la journée). Je n’ai pas le droit de prendre un Taxi (peut être dangereux) et marcher serait bizarre. Je ne saurais même pas dire si c’est dangereux, ça ne se fait pas, c’est tout. Les blancs ne se promènent pas à pied en plein Conakry. J’appelle donc un chauffeur que je connais, je lui demande de venir et c’est parti. Avec mes collègues, pour le déjeuner nous ne jurons que par un seul endroit : l’Institut Professionnel Moderne. C’est une école technique privée pour les jeunes guinéens dont la salle principale se transforme tous les midis, pour des raisons inexpliquées à ce jour, en cantine pour riches guinéens / expatriés. 

L'IPM

Un des plats locaux servis par l'IPM

Nous y mangeons des plats qui changent tous les jours, mais surtout, personne n’est JAMAIS tombé malade après avoir été là-bas. C’est un trésor à chérir, un lieu sacré où tout est permis, un restaurant où la feuille de salade, provoquant habituellement une diarrhée automatique (car lavée à l’eau du robinet) inspire confiance. L’IPM est un joyau qui illumine Conakry et respecte nos fragiles systèmes digestifs.

Au moment de payer, c’est toujours la pagaille, merci le système monétaire. Un € équivaut à 9000 Francs Guinéens (GNF). Il n’y a pas de pièces, que des billets de 100, 500, 1000, 5000 et 10000 GNF. Les prix ne sont en plus pas si bas que ça. C’est comme si en France, nous devions nous contenter des pièces entre 1 centime et 2€ pour absolument tous les achats. J’ai toujours sur moi ma petite liasse de billets, j’ai même été officiellement millionnaire au début de mon séjour. Payer la facture peut vite prendre 15 minutes, si on est beaucoup. Il y a toujours une erreur et on recompte tout 3 fois en général.

La bagatelle de 50€ environ

La suite au prochain article !

lundi 13 août 2012

Les sorties sont rares




Ma deuxième rotation à Conakry est pour l'instant la plus tranquille. La Guinée est un pays majoritairement musulman. Le Ramadan bat son plein et les Guinéens terminent leur journée à 16h, les cantines limitent leur carte à quelques plats, les bars et les restaurants sont vides. C'est dans la rue, encore, que tout se passe. Les étals vendant de la nourriture fleurissent au bord de l'autoroute, les vendeurs à la sauvette profitent des embouteillages monstrueux de la fin de la journée pour gagner leur vie : des dizaines de jeunes se promènent entre les voitures avec des fruits du pain, des cacahuètes, des poulets vivants et même des lapins. Ces marchés sont monnaie courante à Conakry, et en général la façon la plus simple de se procurer quelque-chose d'introuvable est de rentrer dans un embouteillage. Dans les quartiers "riches" de la ville, les embouteillages se transforment en supermachés "spécial expat", on peut y acheter de la lessive, des cintres, des cartes téléphoniques, des souvenirs, des sprays anti moustique et des CD de musique africaine kitsch. Il est possible de meubler un appartement sans sortir de la voiture.
 
Si les marchés de rue s'agitent pendant la journée, c'est pour préparer la rupture du jeûne à 19h20, lorsque le soleil se couche. Les familles achètent la nouritture la plus copieuse qu'ils peuvent se permettre pour ce mois qui est pour eux très spécial. La plupart de ces familles mangeront cependant de la bouillie aux céréales, et se permettront de la viande ou du poisson à la fin du Ramadan. Pour me rapprocher de mes collègues de bureau, j'ai d'ailleurs moi-même fait le jeûne vendredi dernier. J'ai beaucoup ramé le matin, mais j'ai réussi à tenir pas trop mal l'après-midi, et c'est l'esprit ramolli mais content que je dévorais mon repas du soir.
 
Cette période accentue encore plus le côté "sous-marin" de ma vie d'expatrié à Conakry. Mes bureaux se trouvent à 2 minutes de marche de ma résidence (assez luxueuse pour l'endroit, et assez fermée du monde extérieur), et je n'ai pas le droit d'utiliser d'autres voitures (taxis, voitures de location) que les voitures RioTinto, avec chauffeurs dévoués. D'ailleurs nous avons depuis peu un couvre-feu à 22h30, au delà duquel aucune voiture ne peut nous transporter. Par conséquent, les sorties tardives sont rares. Par contre, elles sont mémorables.
 
Il est jeudi soir, il ne pleut pas à Conakry. Nous sortons pour fêter le départ d'une collègue. Après un apéritif en bord de mer, nous décidons d'aller en boîte de nuit. Le choix se porte sur le "Select", une boîte VIP dans laquelle les blancs sont bien sûr tous les bienvenus, et leurs portefeuilles aussi. Cette boîte s'organise un peu différemment qu'une boîte française. C'est un espace circulaire de 2 étages, occupé en son centre par une scène musicale à 360°. Le chanteur, Sylane, et son groupe, alternent entre Reggae et chansons africaines. Les VIP guinéens présents au balcon au dessus de la scène sortent des liasses de billets de 500 francs guinéens (5 centimes) et les lancent sur le groupe, créant une pluie de billets de banque comme on n'en voit que dans les films. Le groupe pourra garder l'argent, mais doit chanter des louanges au nom du donateur. Ainsi, selon la générosité du quidam, certaines chansons (improvisées) durent plusieurs dizaines de minutes. J'observe le batteur avec attention et scepticisme : il tient ses baguettes à l'envers, et son visage endormi démontre une certaine torpeur. Son style défie toutes les règles de base de la batterie, et pourtant, ça marche. Pour terminer son concert, le groupe entonne "We are the world", repris en choeur par la foule du Select. Ce moment est juste parfait et remporte la médaille d'or de l'ironie. Je suis bien en Afrique.
 
 
Almost fun facts:
  • L'âge moyen du premier enfant pour les femmes est de 16 ans
  • Un des quartiers de la ville s'appelle Tombo. Il y a là bas une pharmacie, qui s'appelle donc la Pharmacie Tombo
  • Il y a plein de cochons dans les rues. Ce sont les cochons de Guinée. Les fameux, les célèbres, les Guinea Pigs. Je sors cette blague à tout le monde ici, personne n'a encore ri. Mais je persiste.
  • La bière la plus prisée s'appelle la Guiluxe, comme Guinée et Luxe, mais du coup chaque bière me fait penser à Intervilles